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Chroniques
L’Italiana in Algeri | L’Italienne à Alger
opéra de Gioachino Rossini
Le rideau de l’Opéra Comédie se lève sur les décors spectaculaires conçus par Rifail Ajdarpasic, autour d’une carlingue d’avion éventrée, quelque part dans la forêt amazonienne. Il y a sans doute quelque temps que l’appareil est immobilisé, car la vie s’est organisée depuis, avec une douche à gauche, une éolienne à droite, Lindoro habitant une petite chambre-prison dans l’un des réacteurs…
En tout cas, chapeau au pilote pour l’atterrissage d’urgence au vu de la luxuriante végétation environnante ! Tous les éléments d’un vol de croisière sont utilisés au cours de la représentation : les rangées de fauteuils déplacées au gré des scènes successives, les protagonistes qui attachent leur ceinture pendant un finale tempétueux, enfilent leur gilet de sauvetage tandis que les masques à oxygène tombent des cintres, un radeau pneumatique où s’ébattent Isabella et Mustafà sous un drap, le chariot pour servir le café à l’Italienne et ses trois prétendants – elle est ici bien plus ouverte à ses amoureux que d’ordinaire, embrassant, caressant, enlaçant Taddeo dès son entrée en scène –, le plateau-repas servi à Mustafà-Pappataci, etc. On y sourit de bon cœur mais on ne rit jamais à gorge déployée. Coproduite avec l’Opéra-Théâtre Metz Métropole et l’Opéra national de Lorraine (Nancy), la réalisation visuelle de David Hermann est amusante et plutôt bien en situation avec le ton de cet opera buffa. Miracle de la technique, l’avion décolle à nouveau en fin de soirée pour ramener Isabella et Lindoro au pays !
Vocalement, le compte n’y est pas vraiment, la palme étant attribuée au quatrième rôle par ordre d’importance, le baryton Armando Noguera qui brûle les planches en Taddeo. Timbre de qualité, projection et volumes appréciables, style appliqué, l’acteur possède également la meilleure vis comica de la distribution, à le voir mort de peur lorsqu’il est badigeonné d’huile comme un rôti géant prêt à cuire avec sa ceinture d’oignons, ou encore lorsqu’il se trémousse et se déhanche dans le trio des Pappataci.
Vient ensuite l’Australien Alasdair Kent qui compose un délicat Lindoro, dans la vocalité typique du ténor rossinien : puissance modeste d’un tenorino, mais agilité et musicalité qui forcent l’attention et l’intérêt. Ses intentions sont absolument formidables, avec des variations très inspirées dans les reprises ; cependant la ligne de chant se révèle fragile, voire instable, avec la désagréable impression que le filet de voix peut se dérober à chaque instant.
Les deux rôles principaux n’ont malheureusement que fort peu à voir avec les exigences du chant rossinien. En Isabella, Hanna Hipp est d’abord plus mezzo que contralto, comme l’a prévu le compositeur. Certains graves poitrinés sont émis, mais d’autres pas, et elle transpose plus d’une fois quelques petits passages à l’aigu. Elle se trouve aussi bien à la peine pour exécuter les difficiles traits d’agilité de la partition, se montrant bien plus à l’aise dans une mélodie douce comme Per lui che adoro que dans l’abattage de son air d’entrée. Le chef est particulièrement arrangeant avec elle dans la grande aria Pensa alla patria dont il ralentit grandement le tempo, pendant que ses compagnons italiens de peine retirent l’un après l’autre leur masque, plutôt de type africain, comme soudainement désenvoûtés.
Quant au Mustafà de Burak Bilgili, plus baryton-basse que basse il lui manque le creux dans le grave. Sans souplesse vocale, il ne s’essaie même pas aux vocalises de sa partie. Plus d’une fois rapidement à bout de souffle, il commet de surcroît de petites erreurs de rythme. Inutile de confirmer que le concours de décibels entre Taddeo et Mustafà sur le mot Pappataci tourne à l’avantage écrasant du premier ! Le rôle bien plus secondaire d’Haly, incarné ce soir par Daniel Grice, s’en trouve renforcé, l’instrument étant sonore et bien timbré, y compris dans Le femmine d’Italia, son aria di sorbetto.
On préfère enfin le grain doux et enveloppant de Marie Kalinine en Zulma à l’acidité du timbre de Pauline Texier en Elvira, même si celle-ci passe sans problème ses aigus dans certains ensembles (comme le final de l’Acte I). Les chœurs masculins chantent avec enthousiasme et cohérence, même si l’italianità et la délicatesse pourraient être supérieures.
Au pupitre, Michael Schønwandt, tout juste reconduit dans ses fonctions de chef principal jusqu’à 2021, étonne au début de l’Ouverture en imprimant un tempo très lent, au bord de la syncope. Les bois, exposés en virtuosité dans cette sinfonia, s’en tirent plus ou moins facilement – le hautbois est, par exemple, bien plus maîtrisé que le piccolo, alors que plus tard le cor solo vient à bout sans accroc de la longue introduction de Languir per una bella (Lindoro). La battue se met ensuite en place, bien qu’on puisse toujours se demander si ce n’est pas l’oreille qui commence à s’habituer… Schønwandt ne résiste pas à quelques petits effets de ralentis, d’accélérations, de grossissements du son, mais il faut lui reconnaître une verve certaine et une attention soutenue à ne pas couvrir le plateau de décibels.
Malgré toutes les réserves exprimées plus haut, le public fait un accueil enthousiaste aux artistes lors des saluts.
IF